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Kazigoine & MoonSo6

18 novembre 2009

36 - One more time

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Comme toujours, MoonSaucisse s'accommodait très bien de la situation. Puant la morue à plein nez, elle découpait des poissons de l'aube au coucher du soleil. Quand les matelots lui avaient proposé un grand couteau de cuisine, elle avait ricané et leur avait montré comment elle décapitait, vidait puis taillait les poissons avec le seul tranchant de ses mains. La poissonnerie clandestine du Cap'tain Pigloo lui permettait donc d'exercer ses talents d'arts martiaux à peu de frais. La nuit venue, elle dormait dans la cabine d'un des marins. Ils avaient chacun leur tour, tout ça se passait dans la plus grande équité. Un jour un marin en mal de sensations exotiques tenta bien de faire des avances à Kazigoine, mais il se ramassa un tel coup de queue derrière la tête que personne n'osa plus jamais imaginer d'expériences inédites avec l'animal.

Kazigoine, quant à lui, aidait plutôt sur le pont, aux manœuvres. Il déroulait et tirait les lourds cordages, déplaçait les poulies, grimpait en haut du mât. Le Capitaine prit une telle confiance en lui qu'il le laissa parfois manier le gouvernail. Jour après jour, la musculature du justicier reprenait forme, après les longues semaines de torpeur de la prison. Quand il hissait les voilures, ses muscles arrondis roulaient sous les écailles et les plumes.

Le navire n'avait pas de but précis, hormis braconner la morue. Le vaisseau était constitué d'anciens malfrats qui amassaient quelques pièces dans la seule perspective de dépenser leur bas de laine dans les tavernes des ports dans lesquels ils s'arrêtaient de temps en temps. Le programme convenait à Kazigoine et MoonSaucisse, qui, au fond, n'avaient plus de réel intérêt que de vivre au jour le jour.

Aussi loin qu'ils parvenaient à se souvenir, le premier jour de leur vie avait eu lieu dans cette clairière de Tranche. Ni l'un ni l'autre n'était capable d'expliquer cette apparition. Ils étaient sortis de leur œuf respectif et savaient tous deux que leur mission était d'aider le pouvoir en place à exploiter les habitants de la planète. Leur seul but dans la vie avait été annihilé par l'assassinat du Chambellan et le désaveu des autorités. Désormais, ils survivaient.

Kazigoine passait des nuits entières à se demander dans quel but il continuait d'avancer. Il n'avait pas de parents, pas de souvenirs et ne ressentait qu'une seule chose au plus profond de son être : une rage indicible envers tout ce qui l'entourait. Quand la colère était trop forte, il se promettait souvent de chercher par tous les moyens à annihiler les fils de pute qui l'avaient balancé dans la vie sans en expliquer le mode d'emploi. Moitié canard, moitié iguane, son corps était une machine à tarter, de même que celui de MoonSaucisse, d’ailleurs. Leur naissance se basait manifestement sur une sourde volonté de les utiliser.

Cela faisait des mois que Kazigoine retournait ce constat au plus profond de ses entrailles, mais il ne parvenait pas à prendre de réelle décision. Et si l’existence c’était ça, tout simplement, voguer sans but au milieu d’inconnus ?... Pour trouver des réponses à ces questions, il sentait bien qu’il lui faudrait dépenser une énergie incroyable, se graver cette rage au plus profond de la peau et courir en ruinant tout sur son passage afin de pouvoir y répondre. Pas de volonté, pas d’énergie. Pour le moment, voguer, orphelin de tout…

            Les ennuis ne tardèrent pas à pointer le bout affûté de leur nez. Par une calme et chaude soirée, une frégate de Pingouin arriva sans faire de bruit et arraisonna le navire.

Kazigoine et MoonSaucisse voulaient les exterminer, mais le Capitaine leur interdit de faire du mal aux Pingouins, pensant pouvoir leur graisser la patte. En vain.

« Déglinguez moi ce bateau et zigouillez-les tous », furent les seules paroles de l’officier, un type dont le masque ne laissait dépasser qu’une mâchoire crispée à la fine bouche pincée. Le combat fut rapide et inégal : avec leurs puissants lance-boulettes à mazout, les fonctionnaires galactiques ruinèrent pont et sous-bassement, entraînant le navire vers le fond. Ils attachèrent l’équipage, ahuri, au bastingage et filèrent droit en laissant le bateau en flamme s’enfoncer doucement au fond de l’onde (amère).

Ce ne fut pas bien difficile pour Kazigoine de rompre ses liens une fois les fonctionnaires disparus. Au milieu du brasier, il fit le tour de ses compagnons et les détacha un à un.

Quelques heures plus tard, tout ce beau monde flottait piteusement sur une planche de bois ridicule.

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27 mai 2009

35 - Piège en haute mer

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Nos deux zéros flottaient donc bravement sur le radeau en canards. Ni l'un ni l'autre ne se trouvait en mesure de calculer depuis combien de jours ou de semaines ils dérivaient. Une seule chose était certaine : ils en chiaient.

Kazigoine s'était enfoncé ses propres plumes dans les oreilles pour ne plus entendre les jérémiades de MoonSaucisse. Celle-ci avait commencé par être malade comme une bourrique et avait gerbé partout ; ses gros malheurs prirent ensuite la forme d'une violente allergie au sel qui lui colla des plaques purulentes. Depuis quelques jours, elle ne vomissait plus car elle avait trop faim et Kazigoine était obligé de lui administrer régulièrement des raclées pour qu'elle ne touche pas aux canards du radeau. Ceux-ci crevaient d'ailleurs les uns après les autres, complètement rachitiques à force de nager sans se nourrir.

Leur salut prit la forme d'un grand navire, un beau matin. Kazigoine et MoonSaucisse furent réveillés de leur apathie par une poignée de matelots odorants qui leur proposait l'hospitalité. Kazigoine ne fut pas surpris en apercevant un drapeau noir à tête de mort flotter sur le bateau : loi de l'emmerdement maximum.

On les mena sur le pont du vaisseau pirate, aux pieds du Capitaine, un solide vieux bonhomme à barbe blanche, pantalon blanc, veste marine.

-         Il semblerait qu'on aye des invités les gars ! éructa le Capitaine. Un ramassis de gloussements virils lui répondit.

-         Kess' vous zallez faire de nous ?! Demanda une MoonSaucisse en sueur, z'allez vouloir me mettre une robe de princesse, pis faire des trucs sexuels avec moi, à tout plein d'un coup avec vos tatouages, ensuite le capitaine tombera amoureux de moi et pis il voudra m'épouser, mais moi comme je voudra pas il me fera mettre une grosse fessée par le barbu costaud à boucles d'oreille là-bas ; et pis vous finirez par m'attacher très fort au mât et ensuite vous voudrez me jeter par-dessus bord en petite tenue, mais un prince va venir me sauver et je deviendrai reine d'un pays lointain mais ensuite…

Un silence gêné s'empara de l'assemblée. Les pirates rougissaient, ne savaient plus où se mettre ou parlaient à voix basse à quelques uns, d'un air désapprobateur. Le Capitaine coupa MoonSaucisse :

-         C'est qu'on est pas ainsi, nous autres, petite madame. On est polis avec les demoiselles et avec les iguanes, monsieur… (Kazigoine salua poliment du bec). Non, ce que vous allez faire, c'est donner p'tit un coup de main. Voyez-vous, nous exerçons un métier assez mal vu des autorités –d'où le pavillon- et nous essayons de voguer le plus loin possible des côtes de Tranche. Quand on croise une frégate de Pingouins, on prend vite fait la tangente… Alors on a toujours besoin d'un peu de main d'œuvre et ça dédommagerait votre soupe et votre matelas si vous pouviez aider aux activités en cale.

-         Vous ne regretterez pas de nous avoir repêchés, Capitaine, répondit Kazigoine. Nous sommes justiciers polyvalents et nous venons précisément de prendre quelques distances avec les autorités galactiques. Emettez donc les ordres, nous serons à la hauteur. Voler, piller, zigouiller, émasculer, étêter, on sait tout faire.

-         Oh, je sais pas si ce sera si nécessaire…

Et c'est ainsi que Kazigoine et MoonSaucisse se retrouvèrent à congeler des morues à fond de cale dans la fabrique clandestine de poissons carrés du Cap'tain Pigloo.

29 avril 2009

34 - Un coin de liberté

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            Plus tard, bien plus tard, l'iguane finit par sortir de sa torpeur. Durant de longues semaines, il avait goûté à tous les types de drogues se trouvant dans ce lieu maudit, s'était battu avec tous les pensionnaires dont le QI n'excédait pas 30, avait appris des tours d'agilité à ses canards captifs, lu tous les ouvrages de la gigantesque bibliothèque.

Un soir qu'il finissait le dernier navet qui lui restait à lire (Titeuf au pays des merveilles), Kazigoine finit par se dire qu'il était temps d'agir. Il s'assit au bureau de Splinter, emprunta du papier et détacha sa plus belle plume.

De son côté, durant tout ce temps, MoonSaucisse avait vécu le parfait amour. Enfin au début. Les premiers jours, elle ne quitta pas Bombasse d'une semelle. Les deux prisonnières jouaient ensemble, participaient aux corvées ensemble, dormaient ensemble, dealaient ensemble. Mais à mesure que le temps passait, leur idylle devenait orageuse.

MoonSaucisse était volage, Bombasse était jalouse. Quand un pensionnaire s'approchait de MoonSaucisse, son amante bouillait à l'intérieur et ne parvenait à se contenir qu'à grand peine. Un soir qu'elle avait surpris MoonSaucisse quémandant des frites sur les genoux de Tatane, la jeune femme laissa éclater sa brûlante colère et transforma le cuisiner en un tas de cendres. MoonSaucisse lui en voulut beaucoup, parce que les bonnes frites c'est si rare ; mais elle finit par lui pardonner. Le problème est que les colères de Bombasse étaient dangereuses et pas forcément fondées. Le couple survivait cependant vaille que vaille, MoonSaucisse commençait doucement à se sentir étouffer et laissait faire. Sa compagne n'était pas tellement épanouie, mais son instinct de propriété lui donnait l'illusion d'un confort douillet.

La République cessa d'exister de façon très brutale. Le lendemain du réveil de Kazigoine, alors qu'elle était en train de balayer la cour, Bombasse reçut une lettre par porteur. Au fur et à mesure de la lecture, ses jolies lèvres se mirent à trembler. MoonSaucisse la quittait pour un autre détenu. Les prisonniers qui étaient également de corvée de nettoyage la virent prendre une profonde inspiration, serrer les poings, baisser la tête. Elle ne pleura pas.

Dans un vacarme d'épouvante, Bombasse explosa, libérant une énorme boule de feu qui prit toute la surface de la cour. Par ce déchaînement de douleur, Bombasse détruisit le mur d'enceinte, grilla les oiseaux du ciel, tua les prisonniers présents, se tua elle-même. L'océan pénétra dans l'enceinte de la République, en vague aussi tueuse que libératrice.

Alors que les premières victimes se noyaient, Kazigoine ne fit ni une ni deux, attrapa MoonSaucisse par la tignasse, sortit d'on ne sait où un radeau et embarqua sa comparse sur les eaux, direction le monde extérieur. Beaucoup tentèrent de les rattraper à la nage, mais Kazigoine ne se retourna pas une seule fois, pas même pour jeter un dernier regard au salutaire Splinter qui l'avait sorti de sa peine. Qu'ils crèvent tous.

-         Oh non mais qu'est-ce qui lui a pris ?! Sanglota MoonSaucisse. Ces derniers temps, c'était pas trop mal entre nous, je faisais attention à plus sucer personne et… Elle a…

-         Coin-coin.

-         Laisse tomber, lui rétorqua Kazigoine, les bonnes femmes on n'y comprendra jamais rien (je crois qu'il avait un jour entendu cet adage au Café du Commerce).

-         Coin-coin-coin-coin !

-         Mais pourquoi elle a explosé comme ça et… Enfin c'est quand même du bol, nous on se barre de là… Curieux que t'aies eu ce radeau sous la palme, non ?

-         Coin-coin-coin.

-         Ouais, je sais pas, une intuition, comme ça…

-         Coin-coin !

-         Mais au fait, tu l'as fabriqué comment ton rafiot, y'avait pas de bois en République ?! demanda MoonSaucisse entre deux sanglots.

-         Coin-coin-coin.

-         C'est mes canards domestiques.

En baissant la tête, MoonSaucisse s'aperçut en effet qu'elle voguait sur le dos de plusieurs dizaines de canards verts attachés les uns aux autres par de solides cordages. Ben oui, ça flotte.

17 janvier 2009

33 - Ὀδυσσεία

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- "Ecoute Kazigoine, dit Splinter, j'en ai assez de te voir te traîner comme une loque. Tout ce qui te tient vivant est te vautrer dans la poussière de mes tapis. Tu ne te lèves qu'à la nuit tombée et pourquoi ?!

Aller ramasser ces stupides volatiles sur les remparts… Depuis quand collectionnes-tu les canards, tu peux me le dire ? Allons, ne mens pas, j'ai trouvé ta pièce secrète, ça pue là dedans et la baignoire est inutilisable. Pff… Vivants, en plus ; mais quelle satisfaction peux-tu retirer d'une activité si vide de sens ?

Puisque je te vois si plat, laisse moi t'enseigner ce que j'ai appris il y a quelques années. Tu en veux au destin d'être atterri dans cette fange ? Tu ne veux plus te battre ? Mais fais fonctionner tes méninges, allume ta cervelle, bon dieu ! Penses-tu être déjà mort ?"

- "Tu connais Le Prince de Machiavel et tu es rompu aux discours de Sun Tzu, tu enrages malgré ta science de devoir t'asseoir à côté de Clémentine la vendeuse de coke à la cantoche chaque jour qui passe ? Mais mon vieux Kazigoine, il va falloir ruser pour te sortir de là… Non pas la science, non pas la force, mais la ruse !

Sache que rien ne vaut les mythes pour étudier cet art. Prends l'Odyssée, par exemple. Ulysse ne parvient à redevenir maître de son destin que par la ruse.

Avant toute chose, ce grand héros nous enseigne que rien ne sert de lutter contre les dieux. Si ta situation te semble dictée par eux, les secours de ton intelligence ne te serviront de rien. Laisse les dieux de côté.

Regarde bien cet Ulysse, il échappe à Circé la lubrique et délivre ses compagnons, mais une fois devant Scylla, la magicienne lui rappelle que seule la décision divine lui permettra de s'en sortir. Cette histoire de dieux te faire sourire ? Réfléchis encore : Calypso le laisse partir, mais seulement après la décision des Olympiens réunis en concile. Je crois que l'Odyssée rappelle l'humilité humaine face aux caprices du destin.

En revanche, l'Odyssée nous apprend beaucoup sur la manipulation des êtres humains. Quand Ulysse est face à des mortels, même monstrueux, ses ruses lui permettent de dépasser les situations de crise. Ulysse mène le cyclope Polyphème en bateau dès son arrivée sur l'île, inventant une histoire de naufrage, le leurrant sur son identité. Il finit par vaincre le monstre grâce à un défi qu'il lui lance, se servant d'un outil incomparable : la vanité, apanage des êtres humains.

D'ailleurs, c'est souvent grâce à une usurpation d'identité ou à une dissimulation que le héros arrive à ses fins. Pour le cyclope, Ulysse est "Personne" et surtout, à la fin de l'histoire, il ne fonce pas bille en tête pour défoncer les prétendants qui squattent le palais. Il prend la précaution de se faire passer pour un mendiant. Ulysse enseigne qu'il faut parfois renoncer temporairement à son nom, sa lignée, sa fierté, pour parvenir à ses fins. Par la dissimulation, il contourne le rapport de force jusqu'à ce qu'il lui devienne favorable.

On peut à ce stade souligner que bien plus que la force, c'est la rhétorique, l'art de parler pour persuader, qui est l'outil essentiel d'Ulysse.

Enfin, et c'est certainement l'élément le plus important de la ruse du beau barbu, il se sert sans vergogne des sentiments, trait essentiel de l'être humain, inexistant chez les dieux. Ulysse contrôle Nausicaa, joue la corde sensible en inventant un naufrage, suscite le dédain chez les prétendants face à sa piètre apparence. Il joue de la dépréciation de soi, il joue de toute la gamme du sentiment humain, bien au-delà du simple amour ou de la haine stupide.

En cela, je crois que L'Odyssée peut t'apprendre bien davantage que les écrivains politiques. Patiente lorsque les dieux ou le destin ont décidé de t'éprouver, travaille ton identité, ton apparence et ton discours quand il s'agit de frayer avec les êtres de chair.

Tout ceci je l'ai appris d'un universitaire, un certain Hubert Tullon, jadis dans un pays ensoleillé, alors que je ne moisissais pas encore ici, dans toute cette crasse intellectuelle. "

9 janvier 2009

32 - Talweg

                                                         peau

Cela faisait des mois que Kazigoine était coincé en taule. Pourquoi pas MoonSaucisse ? Parce que son esprit simple avait fini par s'accommoder à la prison pour de bon. Nombre de prisonniers réagissaient ainsi : une fois qu'ils avaient mis en place leurs petites routines de vie, si insignifiantes soient-elles, ils ne pensaient bientôt plus à l'enferment.

Kazigoine passait ses journées complètement plat. Non pas à plat, mais réellement plat, à plat ventre par terre. Ca lui arrivait déjà du temps de Tranche, il traversait des pics de dépression où il n'avait même plus envie de se nourrir ou de respirer. Il se couchait sur le sol, face contre terre durant plusieurs jours, les pattes écartées. Lors de ces crises, les Tranchais ayant un grief contre lui en profitaient souvent pour le piétiner, quand ils échappaient à la surveillance de MoonSaucisse. Tous les mauvais payeurs et les grilleurs de feu de la planète venaient s'essuyer les pieds dessus, jusqu'au jour où on entendait le fameux "SPLAT" de la queue du lézard dans la gueule du petit malin équilibriste ; signe que la fête du paillasson-zigoine était terminée.

Splinter finit par s'en inquiéter sérieusement. Il fit porter l'animal dans sa bibliothèque, afin qu'aucun détenu ne puisse abuser de la situation.

Cette fois, MoonSaucisse ne tenait pas la garde à côté du corps sans volonté de son ami. Elle était bien trop occupée. Notre héroïne s'amusait comme une folle avec ses camarades de zonzon, en particulier sa copine la bombe humaine. Bombasse et MoonSaucisse avait à peu de chose près le même âge mental, elles administraient des bites au cirage, piquaient les godasses des copains pour les remplir de dentifrice, crachaient dans le brouet, de vraies sales gosses.

Les mauvais coups avaient toujours lieu à la nuit tombée, alors elles dormaient parfois ensemble. Au fil du temps, elles finirent par passer toutes les nuits côte à côte, oubliant parfois d'aller piquer des godasses, s'endormant dans les bras l'une de l'autre. Une nuit que Bombasse ne parvenait pas à dormir, MoonSaucisse lui administra un massage très spécial qui la fit bientôt sombrer dans un profond sommeil. Les deux détenues eurent de moins en moins envie de dormir et explorèrent ensemble les diverses possibilités de somnifères qui s'offraient à elles. MoonSaucisse et Bombasse tombèrent peu à peu dans une félicité béate, ce qui empêcha durablement les détenus mâles de la prison de marcher tout à leur aise.

            Ainsi abandonné, Kazigoine ne parvenait pas à se relever. Une nuit, il se traîna jusqu'au chemin de ronde, tout en haut du bâtiment, et fit le violent effort de pousser un détenu-lapin par-dessus le parapet. Cela ne lui procura pas une once de joie et il ne reconnut même pas cette saleté d'Isidore qu'il avait lui-même fait coffrer quelques mois auparavant. Cette fois, la dépression était carabinée.

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14 décembre 2008

31 - Beau et fort

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Quelques semaines s'étaient écoulées depuis la petite fête d'accueil de Kazigoine et MoonSaucisse. Trois fois par jour, Kazigoine faisait le tour du fort, trois fois par jour il constatait qu'il était impossible de s'en échapper. L'asile de dingues trônait au beau milieu de la mer Intérieure, les murs faisaient 10 mètres d'épaisseur, pas de nouvel hélico pour survoler la tôle. Les deux ex-justiciers apprirent à respecter les règles de la République et se firent quelques amis.

Kazigoine avait du mal à fraterniser, mais la proximité de la joviale MoonSaucisse l'aidait beaucoup. Pour se faire apprécier par la République, d'abord il fallait être de l'avis du plus grand nombre. Ceux qui s'écartaient de la norme perdaient des dents, et les votes démocratiques se concluaient bien souvent par des résultats à l'unanimité.

La population du fort était bigarrée. En fait, elle se divisait en trois catégories : les criminels, les timbrés et les timbrés criminels. Kazigoine et MoonSaucisse ne faisaient pas vraiment la différence, et arrêtaient simplement de parler à quelqu'un quand il se mettait à manger sa chaussure ou promener sa brosse à dents en laisse. Sadiques, fêlés, paumés ; au fond, la République était une famille ordinaire.

Il y avait Tatane, le boiteux, qui faisait les frites comme pas deux mais refusait catégoriquement de faire sa gym du matin ; on pouvait jouer à la bagarre avec Karl, toujours avide d'apprendre de nouveaux coups ; Charlot voulait couper la tête de tous les citoyens. Il y avait aussi Chick, Théophile et Léon, les triplés récidivistes toujours marchant par trois et dont on ne savait jamais distinguer l'un de l'autre.

Bien entendu, la gente féminine était aussi représentée : Carla la nymphomane, Cécile la zigouilleuse de flics, Bernadette l'alcoolique… MoonSaucisse était particulièrement amie avec l'une d'elles, une toute jeune fille un peu épaisse, qu'on appelait Bombasse. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, son surnom n'était pas dû à ses formes généreuses, mais à son aptitude à exploser sans prévenir. Quand on la cherchait, Bombasse restait de marbre mais ses entrailles prenaient feu tout doucement, puis quand elle n'en pouvait plus, la petite fille explosait. Littéralement. Elle avait ainsi tué toute sa classe l'année passée, un jour où l'instituteur avait voulu lui faire compléter une carte muette de Tranche, au tableau, devant tout le monde. Ses nerfs à vif avaient produit un suc mortel qui avait pris feu au contact de l'air quand elle s'était mise à hurler sa rage. Son entourage, épouvanté, lui rendit le service réservé aux déviants de Tranche : la République.

MoonSaucisse l'aimait beaucoup, elle était adorable et réveillait ses instincts maternels. Elle, au moins, n'avait jamais demandé à lécher ses bottines ou retrousser sa jupe.

Kazigoine quant à lui discutait de longues heures avec Splinter, enfermé dans sa bibliothèque, dont nul ne comprenait comment il avait réussi à apporter les ouvrages. Tout y passait : politique, histoire, climat, bons mots… Plus que des rations de bouffe en plus, davantage que des clopes maison, Kazigoine avait trouvé un moyen sûr pour sauvegarder sa santé mentale.

Pas une nuit toutefois ne passait sans que le justicier n'échafaude un quelconque plan d'évasion.

12 octobre 2008

30 - Eminence

                                                                        

                                                      splinter

            Le combat faisait rage depuis quelques heures déjà. Les deux énergumènes du centre du ring avaient envoyé au tapis bon nombre de détenus.

A quelques mètres de là, assis sur une chaise surélevée, un vieux rat chérif observait attentivement. Quand il vit qu'il ne restait plus qu'une poignée de combattants et qu'ils n'allaient pas faire long feu, Splinter se leva, écarta ses fidèles gardes du corps, et se dirigea vers ses quartiers.

Cela faisait quelques années maintenant que le vieil animal était parvenu à diriger la République. Bien entendu, il n'avait aucun statut officiel, ne se faisait jamais appeler "chef" ou "patron", mais tous le respectaient et lui obéissaient à la patte et à l'œil.

Splinter se repassa mentalement son ascension alors qu'il s'asseyait dans le fauteuil moelleux de sa bibliothèque. D'abord il avait fallu prouver qu'il savait se battre. Ce n'était pas les vils concours de torgnoles que les "citoyens" de la République connaissaient, non il avait montré ses talents en arts martiaux. Lui fin et chétif, fut pourtant capable d'envoyer au tapis les plus gras des meneurs. Il avait massacré les plus balèzes, puis s'était contenté de donner des conseils pour organiser la communauté, mettre en place des tours de garde pour accueillir les nouveaux, des tours de vaisselle, du tabassage organisé pour les plus revêches… Ce n'était pas sa force, mais son intelligence qui l'avait mené jusque là. Aujourd'hui encore, il portait son vieux kimono bordeaux pour ancrer le souvenir des combats des premiers jours.

Au fil des années, il avait su maîtriser cette colonie de timbrés, drogués, alcooliques et maniaco-dépressifs et l'organiser plus ou moins en société auto-gérée. Les nombreuses tentatives de coups d'Etat contre sa personne furent toutes vouées à l'échec, grâce à la fidélité des piliers du pénitencier.

Des meurtres et du fracas, il y en avait quantité, et chaque jour. Comment pouvait-il en aller autrement dans ce microcosme de malfrats et d'hystériques livrés à eux-mêmes ? Mais tout de même, le fort ne s'était pas écroulé et la majorité des détenus parvenait à rester en vie, à condition de respecter Splinter et ses règles d'airain.

Aujourd'hui Splinter était pensif. L'arrivée des deux nouveaux tordus ne lui inspirait rien de bon. Il les avait bien observés et s'était immédiatement inquiété face à la violence inouïe de la fille combinée à la ruse du saurien.

Les bruits lointains du combat avaient maintenant cessé. Les autres détenus avaient pris leur volée.

31 août 2008

29 - Res publica

Cela faisait maintenant plusieurs heures que l'hélicoptère survolait la Mer Intérieure de Tranche. Kazigoine et MoonSaucisse n'avaient que peu conscience d'où ils étaient, attachés comme ils l'étaient dos à dos au fond de l'appareil, bien coincés sous les bottes de leurs gardiens.

"- Et c'est quand qu'on atterrit ? cria MoonSaucisse dans le vacarme de l'engin.

- xxxxxxxx.

- Hein ?!

- J'AI DIT ON ATTERRIT PAS, CONNASSE !"

                                                                          respublica

A ces mots, une trappe s'ouvrit sous les fesses des deux ex-justiciers et ils firent le plus beau vol plané de leur carrière. La chute leur sembla vertigineuse, MoonSaucisse ne cessait de hurler, Kazigoine dans son dos ne voyait rien à cause des larmes qui lui coulaient sur le bec et des cheveux roses qu'il n'arrêtait pas d'avaler… Ils tombèrent et hurlèrent durant de longues minutes, pour finalement atterrir sur un énorme matelas posé dans la cour intérieure de la prison, à l'intention des nouveaux arrivants.

Ce fut Kazigoine qui eut l'honneur de tomber le bec dans le matelas, étouffé par sa coéquipière qui pesait lourdement sur son dos. Quelques jurons inaudibles plus tard et après quelques coups de pattes et autres morsures mutuelles, ils se retrouvèrent sur leur séant, toujours attachés l'un à l'autre.

"- Tu peux pas poser ton cul ailleurs que sur moi, crème d'andouille ?!

- Faut toujours que tu m'engueules ; tu crois que ça m'a fait du bien ton bec dans les cotes ?!… Et d'abord je te signale que…

- Tais toi, Saucisse !" MoonSaucisse entendit la pointe d'angoisse dans la voix de Kazigoine et se tut à l'instant.

Tout autour du tapis de chute, une ronde de prisonniers les toisait. Au bout de quelques secondes, un énorme rat tatoué, vraisemblablement le chef de la bande, s'approcha et les détacha. Pas un mot ne fut prononcé. Kazigoine et MoonSaucisse sentirent qu'il y avait un os. Ils ne remercièrent pas le caïd et se placèrent instinctivement au centre du tapis, dos à dos, en garde.

18 août 2008

28 - Kiss the cook

MoonSaucisse l'amena rapidement sur les lieux.

"- Ben... C'est là...
- Ah ben ça oui, merci, je vois ! Maugréa Kazigoine. Et tu trucides souvent tes amants comme ça ?! Non parce que nettoyeur de scène de crime j'ai déjà fait mais faudrait pas non plus que ça devienne une habitude... Mais regarde ça y'en a partout... Et t'as mis où la tronche s'il-te plaît ?... Ah ok sur la souche là... Bon ben passe moi le matos, Ted Bundy...
- Mais c'est pas moi, c'est la voix dans ma tête qui...
- GRMPH !"

angleq

Kazigoine empoigna la scie à bois et commença son œuvre. Le Chambellan avait beau tout avoir d'une lopette, il avait les os durs. Les bras n'étaient pas le plus difficile à découper. Au fond c'était comme la dinde, une fois qu'on a trouvé les attaches, on casse, puis on découpe la peau et les tendons. Les jambes étaient parties sans trop de problèmes, mais ce qui commençait à faire suer le lézard sang et eau, c'était les rotules. Les petits osselets cassaient un à un, rendant un bruit sourd assez intéressant, mais l'ensemble refusait catégoriquement de se laisser découper proprement.

"- Rhhâââââ ! Passe moi le hachoir à main, sors les doigts de ton nez et commence à creuser les trous !"

L'équipe de Pingouins des Gérontes choisit ce moment ludique de l'atelier-boucherie pour débarquer avec force bruits et gyrophares. Ils arrivèrent comme à leur habitude, sur leurs scooters galactiques, en dérapage au frein à main. Ils écrasèrent dix terriers de bestioles et un Pingouin ficha le feu à un platane en voulant exhiber son laser.
Kazigoine et MoonSaucisse n'eurent même pas le temps de s'apercevoir qu'ils étaient plaqués au sol, une botte de Pingouin en travers de chacun de leur visage, les mains derrière le dos.

"- On ne bouge plus, les psychopathes de l'espace ! Au nom de la loi et en vertu du Lièvre n°44 678 997, je vous accuse formellement d'impudeur, d'homicide volontaire, de complicité d'homicide et de découpage culinaire de la personne d'un agent de la fonction publique. Le Tribunal Administratif Spécial des Gérontes vous a déjà condamnés à la dégradation à vie. Vous n'êtes désormais plus justiciers, ni l'un, ni l'autre. La sanction applicable dès maintenant est l'internement à perpétuité dans l'enceinte de la République. Veuillez vous laisser traîner jusqu'à vos cellules, bâtards !
- Mphphph.... Ché quoi cha encore la Rémûûblique ? Étouffa un Kazigoine coincé sous une pompe.
- La prison de Tranche, couillon. Ca fait asile de dingues aussi. Asile autogéré. La République, quoi."

1 août 2008

27 - Mortal pichnik

pique_nique

A première vue, ça semblait être une bonne idée. Il lui avait dit : « MoonSaucisse, pour fêter ton Certif’, je t’invite à un pique-nique en tête à tête demain ». Mais maintenant qu’elle se trouvait là, assise au milieu de la clairière vert émeraude, le cul sur l’horrible nappe à carreaux et qu’elle le regardait, elle ne savait plus trop bien.

Lui, c’était le Chambellan Machin Poudingue, bien sûr. Machin, dont elle ne savait plus si elle l’aimait à la folie ou le détestait, tant leurs rapports étaient devenus compliqués. Une fois transi d’amour, la suivante le vit coincé dans une rombière, lui faisant livrer des jonchées de fleurs, pour lui reprocher froidement ses bévues de fonctionnaire deux heures plus tard, la serrant amoureusement tout en la traitant de boudin…

Elle non plus n’était pas tellement portée sur la fidélité sexuelle, ça non, mais les changements d’attitude et de discours permanents du Chambellan lui donnaient le vertige, et son cerveau simple ne parvenait plus à suivre.

MoonSaucisse aurait pu le planter là, renvoyer ses cadeaux et refuser ses invitations qui parfois se terminaient dans la douleur. Mais voilà, elle commençait à y être un peu beaucoup attachée, elle aimait ses manières bourgeoises, sa cape au vent, sa taille enlevée, tiens même avec un grain de riz sous le menton il était chou… Et il avait de jolis yeux, des bras ma foi pas mal, le ventre plat, un job en vue…

Machin lui resservit encore une fois une bonne rasade de rosé. Il avait manifestement des intentions de sexe en plein air. MoonSaucisse le voyait venir mais elle s’en foutait pas mal et elle était pas contre si c’était demandé poliment. Le soleil commençait à taper salement, la salade de riz manquait de mayonnaise à la menthe et la napakaro lui grattait les fesses. Faudrait voir à pas avoir d’éruption d’eczéma quand il lui soulèverait la jupe…

De quoi était-il en train de l’entretenir ? Au fond elle n’en avait aucune idée, elle avait perdu le fil de la conversation depuis de longues minutes. Il était vaguement question de son attachement à l’Empire et de son amour du service rendu. Et si l’Empire l’appelait sur une autre planète demain, il y  courrait sans problème, laissant tout derrière lui, d’ailleurs il ne tenait vraiment à rien sur la planète Tranche et était capable de tout quitter sans se retourner du jour ou lendemain. La seule chose qui lui manquerait, ce serait les seins de la boulangère et à la rigueur son chien.

MoonSaucisse sentait vaguement son sang bouillonner mais elle était habituée à toutes ces conneries et ignorait au fond jusqu’à quel point il était sincère et jusqu’à quel point elle-même s’en foutait. Et puis il parlait bien et souvent il lui offrait des fleurs.

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Il prit de longues minutes pour terminer sa tirade patriotique, puis attaqua enfin les manœuvres d’approche. C’était pas trop tôt, on pourrait avoir fini pour l’heure du goûter. La justicière, échauffée par excès de soleil et de mauvais rosé, sentait l’envie monter en elle au fil des baiser de Machin, qui ne se démerdait pas trop mal.

Couché sur la nappe, il l’attira à cheval sur lui en mettant un coup de pied dans la salade de riz qui atterrit sur une fourmilière (896 heureuses). MoonSaucisse l’embrassait et regardait son visage, à la fois rusé et enfantin, sans défense et pervers, plein d’amour et dédaigneux. Quand il la pénétra, elle fit reposer son poids sur ses deux bras, au sol.

Au bout de quelques minutes, MoonSaucisse le regarda de nouveau et sa main droite se mit à fouiller autour d’eux, sur la nappe. En rencontrant le pique que Machin avait amené pour découper les glaçons, la justicière sourit et sa main tenta de se refermer dessus. Le pique glissa de côté et la jeune femme trouva une fourchette en plastique à la place. Poussée à bout par cette belle girouette, ou peut-être par jeu, par fébrilité ou par passion dévorante, elle planta l’instrument dans la cuisse de Machin. Il se mit à hurler et saigner. Elle apprécia beaucoup la scène. Ce visage angélique montrait enfin une réaction adaptée à la situation. Il réagissait à son stimulus à elle. MoonSaucisse ne put pas s’arrêter en si bon chemin. Elle lacéra les cuisses du chambellan avec sa fourchette en plastoc et finit par casser son instrument dans une plaie. Toujours le chevauchant, à court d’idée, elle saisit un autre instrument.

Nul ne sait comment MoonSaucisse s’y prit, mais les médecins légistes sont depuis unanimes : lors d’un pique-nique sanglant, le Chambellan de la planète Tranche est mort décapité par une louche. L’oiseau à l’air.

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